Le premier objectif de ce projet est donc de mieux définir le goût umami à l’aide d’un ou plusieurs composés, seuls ou en mélange, afin d’améliorer la description gustative des vins. Le deuxième objectif de ce travail est de quantifier ces potentiels marqueurs dans des vins rouges et blancs, afin d’établir leur influence sensorielle.
Lancement : 2023
Porteur du projet : Université de Bordeaux, Institut des Sciences de la Vigne et du Vin, Unité de recherche œnologie, UMR 1366, OENO , 35 place Pey Berland 33000 Bordeaux
Correspondant technique : Gammacurta Marine / Marchal Axel
La qualité d’un vin, traduite par le plaisir qu’il procure au consommateur, dépend de la complexité et de l’harmonie de ses odeurs et de ses goûts. La compréhension de ces perceptions sensorielles nécessite l’identification des molécules odorantes et sapides du vin, qui permettra par la suite de mesurer leur teneur dans les vins et d’étudier leur implication dans l’arôme et le goût. De nombreux travaux ont permis d’associer un ou plusieurs composés volatils à un arôme, tandis que les effecteurs du goût demeurent plus largement inconnus. Au cours d’une dégustation, un vin est souvent caractérisé en bouche par sa douceur, son acidité et son amertume mais rarement par son caractère umami. Cette cinquième saveur signifiant « délicieux, savoureux » en japonais, a été décrite pour la première fois par le Pr Ikeda en 1909 (Ikeda, 1909). Elle est cependant très peu utilisée dans la culture occidentale pour décrire un mets car le terme umami n’a pas d’équivalent en français et est difficile à conceptualiser (Cecchini et al., 2019). Il peut cependant être associé aux termes « savoureux », « gras », « dense », « structuré », « volume en bouche » plus fréquemment utilisés au cours d’une dégustation de vin. Cependant, on observe un manque de consensus dans l’utilisation de ces descripteurs entre les juges qui peinent à s’accorder sur une définition claire. Ceci peut s’expliquer en grande partie par le manque de connaissance sur les déterminants moléculaires associés au goût umami. Le premier objectif de ce projet est donc de mieux définir le goût umami à l’aide d’un ou plusieurs composés, seuls ou en mélange, afin d’améliorer la description gustative des vins. Après la découverte de ce nouveau goût en 1909 associé au glutamate de monosodium (MSG), l’industrie agroalimentaire a très rapidement cherché à produire ce composé. Aujourd’hui, le MSG ainsi que certains acides nucléiques, notamment le 5’-inosine monophosphate (5’-IMP) et la 5’-guanosine monophosphate (5’-GMP), sont très largement utilisés dans les aliments transformés tels que les soupes, les légumes en conserve et les viandes transformées, pour leurs qualités gustatives et leur rôle d’exhausteur de goût (Yamaguchi & Ninomiya, 1998). En effet, ces composés umami possèdent, quand ils sont présents en mélange, un très fort pouvoir synergique, entrainant une diminution impressionnante de leur seuil de détection respectif de l’ordre d’un facteur 1000 (Maga, 1994). Ces composés bien qu’également présents dans le vin,sont encore très peu étudiés et leur lien avec le goût umami n’a été évoqué que dans quelques publications. L’acide glutamique est un acide aminé majeur du raisin dont la concentration augmente lors de la vinification, notamment grâce à l’autolyse des levures (Charpentier et al., 2005; Klosse, 2013). Sa concentration dans les vins est bien souvent inférieure à son seuil de détection gustatif déterminé dans l’eau, cependant une récente étude a mis en évidence l’influence du glutamate sur le goût umami du vin grâce à des reconstitutions (Espinase Nandorfy et al., 2022). Les acides nucléiques sont principalement libérés par les levures au cours de leur autolyse. Ces composés ont surtout été étudiés dans les vins de Champagne, connus pour leur élevage sur lies pouvant durer plusieurs années et pourraient eux aussi contribuer au goût du vin (Charpentier et al., 2005). Enfin, l’acide succinique, acide majoritaire produit lors de la fermentation alcoolique par les levures a également été décrit avec un goût umami et un effet synergique avec le MSG a été évoqué (Velíšek et al., 1978). Il contribuerait également au goût du vin, même si aucun lien avec la saveur umami n’a, à notre connaissance, été clairement établi (Baroň & Fiala, 2012). Ainsi, le 7 FONDS DE DOTATION DES ŒNOLOGUES DE FRANCE 21-23 rue de Croulebarbe – 75013 PARIS Tél : 01 58 52 20 20 FONDSDEDOTATION@OENOLOGUESDEFRANCE.FR deuxième objectif de ce travail est de quantifier ces potentiels marqueurs dans des vins rouges et blancs, afin d’établir leur influence sensorielle. Le projet présente ainsi un double intérêt : - développer une méthodologie d’entrainement qui permettra d’avoir à disposition un panel fiable dans l’étude sensorielle du goût du vin, capable en particulier d’évaluer le goût umami du vin. Ce panel permettra non seulement d’étudier l’influence de composés déjà connus, mais pourra par la suite également être utilisé pour la recherche de nouveaux composés dans différents types de produits (vins effervescents, vins blancs, vins rouges) - développer une méthode de quantification de marqueurs du goût du vin provenant essentiellement du raisin et de la levure, permettant ensuite l’étude de nombreux paramètres viti-vinicoles pouvant influer sur la teneur de ces composés et moduler le goût du vin.
Le premier objectif de ce projet est d’entrainer un panel de dégustateurs sur l’évaluation du goût umami. La première étape sera de les familiariser avec ce goût peu commun dans la culture occidentale, en leur faisant déguster le MSG, les 5’-IMP et 5’-GMP et l’acide succinique dans de l’eau, séparément mais également en mélange afin d’appréhender les nuances de goût pouvant résulter d’interactions entre les composés. Plusieurs études ont montré que ces composés et notamment leur goût étaient influencés par le pH (Maga, 1994; Velíšek et al., 1978). Il semble donc important d’entrainer aussi le panel avec une solution modèle aux propriétés plus proches du vin que l’eau (solution à 12 % alc, pH 3). Les seuils de détection gustatifs des composés pourront être déterminés pour la première fois en solution modèle ; les effets additifs voire de synergie seront également étudiés. En parallèle, une méthode de quantification des 4 composés ciblés sera développée. En effet, si ces molécules ont déjà été dosées dans les vins, il n’existe pas, à notre connaissance de méthode unique permettant leur quantification en une seule analyse. Les acides aminés, dont l’acide glutamique, sont généralement dosés par chromatographie liquide (HPLC) couplée à la fluorescence ou à la spectrométrie de masse (MS), avec au préalable une étape de dérivation, impliquant un temps de préparation et d’analyse relativement long et une consommation importante de solvants et d’agents dérivants (Espinase Nandorfy et al., 2022; Le Menn et al., 2017). L’étape de dérivation est principalement utilisée afin d’améliorer la sensibilité et la résolution dans la détermination des acides aminés. Le laboratoire possède un appareil de chromatographie liquide à ultra haute performance (UHPLC) permettant de réduire considérablement le temps d’analyse par rapport aux méthodes décrites. L’UHPLC est couplée à un spectromètre de masse (MS) Exactive avec un analyseur Orbitrap qui permet des mesures de masse d’une grande précision, ce qui devrait permettre de s’affranchir de l’étape de dérivation. L’acide succinique est un composé difficilement détectable par MS car peu ionisable. Le couplage de l’UHPLC/MS à un détecteur universel devrait permettre d’analyser au cours d’une même analyse les différents composés. Les acides nucléiques ont été quantifiés dans des vins de Champagne par HPLC/MS sans préparation particulière (Charpentier et al., 2005). Une fois les paramètres chromatographiques et spectrométriques optimisés, la méthode de quantification sera validée, pour chaque molécule, par l’étude de différents paramètres : la sensibilité, la linéarité, la répétabilité, la justesse et la spécificité (De Paepe et al., 2013). Différents vins rouges et blancs commerciaux pourront être analysés et la concentration des composés umami sera déterminée à partir de la méthode de quantification. Cette dernière étape permettra ensuite d’étudier l’influence de ces molécules sur le goût du vin. Un vin présentant des concentrations faibles en composés d’intérêt sera sélectionné et dopé à différentes concentrations (1er quartile, médiane, 3ème quartile). Ce protocole déjà mis en œuvre en laboratoire a notamment permis de mettre en évidence l’influence de composés sucrés ou amers sur le goût du vin (Cretin, 2016; Winstel, 2019). A l’issue de ce stage, nous souhaitons 1/ développer une méthodologie pour la formation d’un panel entrainé à l’analyse du goût umami, en parallèle 2/ développer une méthode de quantification dans les vins de composés umami afin de 3/ étudier leur influence sur le goût du vin. Il s’agit d’initier par ce projet une première approche sur le goût umami. Le fait de disposer d’une méthode de quantification de composés susceptibles d’avoir une influence sur le goût du vin pourra ensuite permettre d’étudier les paramètres viti-vinicoles modulant leur concentration dans les vins. L’acide glutamique étant en partie apporté par le raisin, il sera intéressant d’étudier comment la maturité influence sa teneur dans les vins. Lors de la vinification des vins rouges, un gain de douceur et de structure est fréquemment observé lors de la macération post-fermentaire ou dans les vins de presses. Il pourrait être intéressant de suivre l’évolution de ce composé au cours de la vinification. Pour les blancs, ce gain est principalement observé pendant l’élevage sur lies. Des comparaisons de souches de levures mais aussi de pratiques d’élevage (batonnage) pourraient être envisagées. A plus large échelle, le fait de disposer d’un panel et d’un protocole d’entrainement à la reconnaissance du goût umami pourrait être une aide précieuse pour la mise en évidence de nouveaux composés. Le laboratoire possède depuis plusieurs années une expertise dans la purification et l’identification de composés sapides guidées par le goût (Cretin, 2016; Marchal, 2010; Winstel, 2019). L’acquisition de nouvelles méthodes pourra faciliter la recherche des effecteurs du goût pour ainsi progresser dans ce champ encore largement inexploré.
Les différentes actions à réaliser sont :
Tache 1 : Mise en place d’un protocole d’entrainement de panel • Présentation au panel des différents composés étudiés dans l’eau et en solution modèle (solution hydro-alcoolique 12 % vol, 5 g/L acide tartrique) : description libre, échange afin de s’accorder sur le terme umami • Détermination des seuils de détection en milieu modèle pour les composés purs et en mélange • Présentation des composés étudiés en mélange dans l’eau et en solution modèle afin d’étudier les interactions entre composés • Présentation des composés étudiés à différentes concentrations du vin afin d’étudier les interactions entre composés dans un vin rouge et un vin blanc et déterminer l’influence des composés sur le goût du vin
Tache 2 : Développement d’une méthode de quantification par LC/HRMS • Mise au point de la méthode : sélection des solvants, colonne, mise au point des paramètres de détection • Validation de la méthode : sensibilité, répétabilité, linéarité, justesse, spécificité • Quantification des composés dans des vins rouges et blancs